"Paris en Automne, les derniers mois de l'année et la fin d'un millénaire. La ville évoque en moi des souvenirs de café, de musique, d'amour... et de mort."

Une tirade de poète maudit, comme ça direct dans ta face, parce que ça fait gosse-beau. Et aussi parce que c'est sur ces quelques mots que s'ouvre l'un de mes jeux "fondateurs". Par ce terme délicieusement dégoulinant, j'entends "l'un des titres qui m'a fait tomber amoureux du jeu vidéo". Tu me diras peut être, ami lecteur, que te taper mes vieilles anecdotes de gamer mièvre, ça te branche autant que de ranger tes chaussettes. C'est dommage, vu que je suis un peu chez moi et que je met les pieds sur la table si je veux. Tu prends un siège ?

Aujourd'hui, on cause donc de nostalgie et de larmichettes et de frissons dans le dos et d... Oui donc, aujourd'hui, mesdames et messieurs : Les Chevaliers de Baphomet (Broken Sword, pour les albionistes, Circle of Blood si tu aimes les burgers et le cola)


Mon premier point & click à moi rien qu'à moi. En 1996... sur Playstat.. - Non mais tu me fais pas ces yeux là hein ! Je manquais de brouzoufs, pas de bon goût ok ?! J'avais pas encore remporté la joute parentale du "J'veux un péçéééé". Ho.

Donc, bon. On embarque en compagnie de Georges Stobbart dans une aventure à travers l'Europe sur fond de légendes historiques et de sociétés secrètes. Georges ? C'est un touriste américain de passage à Paris. Sa dégustation d'un kawa en terrasse a été malheureusement écourtée par un attentat à l'accordéon explosif. Tu n'as rien compris à ce pitch ? Regarde la vidéo ci-dessus. Tu verras, il y a même un clown méchant. De là, notre touriste se met en tête de retrouver son forain d'agresseur -parce que bon, merde 1,10$ le café QUOI - et met rapidement à jour une belle petite conspiration de néo templiers à l'ancienne. Il profite également de la situation pour embrigader une sexy journaleuse frenchy dans l'affaire, mode lover ON.

Produit par les studios Revolution Software sous la houlette de l'anglais Charles Cecil (Lure of the Temptress, Beneath a Steel Sky) le jeu est accueilli de manière très positive par la presse et le public. Sa sortie sur PSX aussi bien que PC viendra combler un gros manque dans la gamme de jeux Sony, la console ayant été boudée par les Point & Click jusqu'alors. Les joueurs PC lui reprocheront d'ailleurs un manque de difficulté inhérent au contexte de l'aventure, les personnages et les énigmes jouant sur un répertoire plus "plausible" que les folies LucasArts de l'époque. Alors certes, on n'associe pas une poêle à frire et un lacet pour créer un trébuchet, mais que de charme pour un seul jeu ! La réalisation graphique cartoonesque est splendide, la bande son envoûtante, les dialogues ciselés et fins dans l'humour... Et Georges Stobbart, anti héros à l'accent américain irrésistible - doublage français par Emmanuel Curtil (Jim Carrey, Chandler de Friends). C'était la première fois que j'entendais un doublage de cette qualité dans un jeu. D'autres l'avaient précédé (Full Throttle) d'autres suivront (Monkey Island 3, Grim Fandango) mais pour moi c'était rien moins que révolutionnaire pour l'expérience de jeu.

Le titre a eu droit à son petit lifting commercial l'an passé, avec sortie sur Wii, iPhone et PC. Le tout ayant été réalisé par dessus la jambe par une équipe de sombres guignols, c'est de toutes mes forces que je t'enjoins à te tenir à bonne distance de cette version financée par le Grand Belzébuth en personne. Certains personnages ont été redoublés, d'autres non, les différents taux de compression audio se bousculent dans un même dialogue, bref c'est la Honte. Quant aux chapitres ajoutés, ils sont d'une mollesse et d'une inutilité absolue. Si tu as envie de (re)goûter aux plaisirs de la chasse aux Templiers, un seul mot : ScummVM.

La saga est aujourd'hui plus ou moins moribonde. Après un second épisode tout à fait dans le ton (Les Boucliers de Quetzalcoatl, manges-en saydubon) Cecil et son équipe se sont fendus de deux autres suites en 3D tout à fait dispensables. Les tentatives de faire revivre l'esprit Broken Sword ne manquent pas, certains ayant poussé la passion jusqu'à développer leur propre épisode 2.5, avec couche graphique revue et tout le bazar. En revanche, c'est tout en teuton : un dialecte qui me file du psoriasis, dommage.

Les Chevaliers de Baphomet, c'est pour moi le souvenir des dimanches pluvieux où inlassablement je refaisais l'intrigue de bout en bout, mon pad PSX à la main. Du coup c'est aussi la douleur morale d'abattre des heures de jeu à déplacer un pointeur à la croix directionnelle. L'envie d'une souris, l'envie de bouffer tous les jeux d'aventure que j'avais probablement loupé. La Grande Boulimie en marche. C'est aussi la mine dépitée de mon frère devant cette avalanche de dialogues d'un chiant ultime. La première galette qui scellera la scission des goûts : quand il s'acharnait sur V-Rally, je partais à la rescousse de tout ce qui est bon dans Little Big Adventure ; quand il sortait des kickflips, je traversais le pays des morts en compagnie de Many Calavera...

Je vais te dire, les Chevaliers de Baphomet, ça a presque le goût des crocos Haribo rouges, en fait.

https://www.gautoz.com/2010/11/salah-al-dinn-13-45-les-chevaliers-de-baphomet